L’Ukraine - son identité
La guerre déclenchée par le président de la Fédération de Russie, après l’annexion de la Crimée et le soutien aux régions séparatistes du Donbass et de Louhansk, met l’Ukraine au cœur de l’actualité. Tous les organes de la presse écrite et audiovisuelle montrent l’ampleur des attaques contre la population civile, les destructions massives d’immeubles, de centres commerciaux, d’hôpitaux, de centres culturels.
Les reportages révèlent la résistance des populations, la détermination des soldats ukrainiens à défendre pied à pied le territoire national, le charisme du président Zelenski. Dans leur majorité, les Européens découvrent l’existence de l’Ukraine. Un pays encore souvent confondu avec la Russie, qui accède à l’indépendance en même temps que celle-ci et la Biélorussie en 1991, au cours d’une rencontre des présidents des Républiques socialistes de l’URSS qui décident de faire sécession et jettent les bases d’une nouvelle communauté d’États indépendants.
Mais que sait-on de l’Ukraine ?
Que sait-on de son identité culturelle, de ses valeurs, de son histoire, de ce qu’elle partage avec la Russie et de ce qui l’en distingue ?
L’étymologie du mot « Ukraine » – de « Ou » signifiant « à côté » et de « Kraïna » signifiant « pays » – permet de comprendre l’importance des voisinages d’un pays légèrement plus grand que la France. « A côté d’un pays », l’Ukraine est d’abord une terre de transition, de passage et de brassage de diverses cultures anciennes. Elle côtoie les Grecs du Pont-Euxin, ancien nom de la mer Noire ; elle côtoie les Scythes et les nombreuses populations proto agricoles qui occupent les vastes territoires allant de l’embouchure du Dniepr, à celle de la Volga, jusqu’à Astrakhan, porte de l’Asie centrale et du Nord de l’Inde.
L’Ukraine est christianisée au neuvième siècle et la principauté de Kiev est alors le plus grand État d’Europe. La Russie et Moscou n’existent pas encore. Le territoire, aujourd’hui russe, est divisé en principautés. Celles de Vladimir et de Novgorod guerroient contre les armées slaves du nord de l’Europe, contre les hordes d’Asie centrale, contre les tribus du sud et les principautés de Courlande ou de Cracovie. Elles passent des alliances avec Kiev pour contrer les attaques au sud des Tatars, des Petchenègues, et d’autres groupes ethniques… À l’ouest, Kiev tantôt pactise avec les principautés du territoire actuel de la Pologne… tantôt les attaque, seule ou avec d’autres puissances. La christianisation de l’Ukraine s’étend à la Russie, produit une unité linguistique à partir du slavon.
La complexité de la société kiévienne et les conflits entre les descendants de Iaroslav affaiblissent le pouvoir de Kiev, tandis que la petite principauté de Moscou, avec le soutien des hordes d’Asie quand elle n’est pas en guerre contre elles, s’impose contre Vladimir puis Novgorod et prend la tête d’un État conquérant, presque toujours en conflit contre ses voisins. Ivan IV, le terrible, repousse les hordes jusqu’à Kazan et institutionnalise un « contrat » avec le grand Khan. Il vient lui payer tribut en contrepartie de la reconnaissance du territoire de Russie et de l’accession du prince au trône de tsar (mot dérivant de César). Aujourd’hui encore rien ne s’obtient sans un don…
Les Cosaques jouent un rôle dans la formation de l’identité ukrainienne. Paysans soldats, ils jouissent d’un statut particulier et disposent d’une grande liberté et de règles sociales très strictes.
Pierre le Grand emporte la bataille de Poltava et étend le territoire russe à l’Est de l’Ukraine d’aujourd’hui. Catherine II poursuit l’œuvre de Pierre et conquiert les territoires jusqu’à la mer Noire. Elle institue le servage russe, tout en lisant Voltaire et Diderot… La Russie étend sa domination jusqu’aux confins de la principauté de Cracovie, puis forme le petite Russie blanche…
La Révolution bolchevique provoque la terrible saignée de la socialisation forcée des activités agricoles, principalement développées en Ukraine et dans la Russie européenne. Dans le sillage des mouvements révolutionnaires russes de 1905, Grouchevski milite pour l’indépendance de l’Ukraine au sein de l’empire tsariste. Il devient en 1917 le premier président de la République d’Ukraine, président de l’Assemblée d’Ukraine (Rada centrale d’Ukraine). Mais la guerre civile s’installe. Les bolcheviks l’emportent et imposent la collectivisation forcée qui entraîne la grande famine « Holodomor » dont la paysannerie d’Ukraine est la première victime.
L’arrivée des troupes allemandes nazies est d’abord fêtée comme une libération, avant que s’installe une résistance contre l’envahisseur aussi déterminée que les révoltes paysannes contre les bolcheviks. Après la victoire de 1945, l’Ukraine, élargie à quelques territoires de l’ex Autriche-Hongrie, devient la Grande République agricole de l’URSS dont elle couvre la presque totalité des besoins en sucre, une part importante de lait, des céréales, tout en développant des activités de pointe dans l’avionique et l’espace…
Jean-Jacques Hervé , Président de l’Académie d’agriculture de France
Jean-Jacques Hervé découvre l’Ukraine alors que, conseiller agricole à l’ambassade de France à Moscou à partir de mars 1997, il couvre également les pays de la CEI, anciennes républiques de la Russie soviétique. Puis, au titre des Affaires étrangères, il est nommé conseiller auprès du gouvernement ukrainien pour les questions agricoles de janvier 2005 à fin 2008. Quatre années de réformes difficiles engagées par le Président Iouchtchenko, et sa Première ministre Mme Tymochenko, les héros de la Révolution Orange. Il accompagne les projets d’investissement structurant dans divers secteurs. Au regard du potentiel agricole du pays, les industries alimentaires, les industries du machinisme, les semenciers français cherchent à s’installer. Les ambassades et les communautés d’affaires d’abord, américaines et européennes, puis turques, chinoises, canadiennes appuient les réformes pour l’adoption des normes internationales. L’Ukraine agricole adhère aux réseaux semences de l’OCDE, et s’ouvre à la coopération avec les institutions européennes, notamment la BERD, et avec les grandes organisations internationales notamment la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.
Jean-Jacques Hervé est ensuite recruté par la Banque industrielle du Donbass, rachetée peu de temps auparavant par le groupe Crédit agricole où il anime et développe des outils de financement des entreprises de toutes tailles du secteur agricole reposant sur une expertise partagée avec les équipes, pour l’analyse des risques et la promotion d’outils de partage de risque avec la Banque mondiale.
Jean-Jacques Hervé est actuellement président de l’Académie d’agriculture de France.
Photos (Jean-Jacques Hervé)
> Revivre la visioconférence qu'il a donnée sur l'Ukraine, récemment à l'Académie